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Photo du rédacteurMichel Van Praët

Le Goyen une ria ensablée...

Dernière mise à jour : 8 nov. 2021

et quelques interrogations sur nos relations passées et présentes à l'environnement.


L'histoire du port d'Audierne (et de Poulgoazec) est documentée par de nombreux éléments, discutés dans plusieurs ouvrages dont le superbe Plouhinec autrefois de Jean-Jacques Doaré.

Dans ce contexte bien documenté, où se pose également la question des relations de l'Homme à son environnement, ce post invite à porter un regard sur les interactions entre phénomènes naturels et interventions humaines par rapport au phénomène massif d'ensablement du Goyen qui, au-delà du port d'Audierne, mobilise jusqu'à Pont-Croix des centaines de milliers de tonnes de sable coquillier.


Banc de sable de plus de 3 km en amont d'Audierne (cliché pris à Lespoul par marée basse de 115, le 12 mars 2020).


D'un havre naturel à une volonté de canalisation des flots au fil des siècles.

Audierne est de longue date mentionnée comme un havre naturel. Même si son abord est délicat, sa position au sud du Raz de Sein en fait pendant plusieurs siècles un port breton important.

Sur ce détail d'un Atlas de l'Atlantique réalisé entre 1310 et 1330, attribué à Pietro Vesconte et conservé à la British Library, Audierne est déjà mentionnée (sous le nom Odierna).

Pendant des siècles les navires s'y abritent dans les anses naturelles comme celles situées au niveau de l'actuelle plage des Capucins ou du port et, en cas de tempête, dans l'anse très abritée du Stum, désormais au dessus du pont. Ils s'échouent à marée basse sur les grèves de ces anses, mais avec la construction du premier môle entre l'anse des Capucins et le port, puis au XIXe siècle des quais, du môle du Raoulic et du chemin de halage, les travaux d'aménagement cesseront de mettre à profit les profils de côte favorables. Ce mouvement s'amplifiera au XXe avec l'élargissement des quais et les comblements des anses de Poulgoazec et du Stum et réduiront de manière majeure le lit du Goyen.

La seule exception à la volonté de dominer la nature, et non de chercher à utiliser les reliefs naturels d'écoulement du flot et du jusant, correspond à l'interruption, en 1869, de la construction du quai du chemin de halage qui entraîne le ressac jusque dans le port lors des tempêtes. La prise de conscience de cet impact du profil du môle et du chemin de halage amena à maintenir l'anse des Capucins et à réaliser, dans les années 1890, la passerelle métallique qui permet de partiellement atténuer la transmission du ressac et la violence du flot dans le port.


Un phénomène d'ensablement connu de longue date et des travaux en vue du maintien d'un chenal d'accès au port.

Le rapport sur les Ports maritimes de France: d'Ouessant au Pouliguen, publié en 1879 par le Ministère des Travaux publics offre une bonne synthèse des difficultés d'entrée dans le Goyen, connues depuis des siècles:

- la nécessité de contourner "l'écueil" de la Gamelle,

- la faible profondeur de l'entrée de la rivière qui nécessite d'attendre le flot au mouillage en baie, mais où "la tenue sur un fond et en quelques points de rocher, n'y est pas très sûre",

- "l'existence d'une barre (où ...) la mer y brise par les coups de vent de Sud et S.0.",


Ce rapport décrit parallèlement les améliorations apportées par la construction du môle du Raoulic au milieu du XIXe: "cet ouvrage a eu pour effet de fixer le chenal, autrefois très variable et de produire un certain abaissement de la barre", tout en reconnaissant que la volonté de canalisation du Goyen a induit des effets de ressac jusque dans le port.


Le rapport cite plusieurs éléments contribuant à expliquer les causes de l'ensablement. Au-delà du fond sableux qui fait face à l'estuaire et approvisionne la rivière en sable porté par le courant de flot, la difficulté de l'entrée résulte de la mobilité des bancs de sable entre "la pointe du Raoulic et la tourelle du Corbeau", "du peu de fixité du chenal", ainsi que de l'élévation de la barre. Ces éléments témoignent tous du fait que les masses de sable de la baie se déposent à l'entrée du Goyen pour y former des bancs instables, soumis aux courants de flot et de jusant, ainsi qu'aux tempêtes et sont pour partie seulement maîtrisés par les aménagements portuaires.



L'origine du sable, "les broyeuses" de la Gamelle.

Dans une série d'articles, J. Jaffry (maire d'Audierne de 1935 à 1944) décrit, dans un style plus littéraire que le rapport de 1878, l'origine du sable produit par les "grandes broyeuses que sont la Gamelle, les bases Neroth, Pouldu, Barzic...", qui grossit les bancs de l'embouchure du Goyen et sa barre avant que le "courant de flot et les grands remous envoient ce sable dans la rivière".


(Le Petit Breton. Beautés et détresses de nos petits ports de pêche. 6 décembre 1925).




Ensablement du Goyen et des plages, activités humaines et phénomènes naturels.

Une étude plus récente montre l'ampleur de l'ensablement et l'amplification du phénomène qui, depuis la construction en 1947 du brise lame de Sainte Evette, contribue également à l'accroissement de la plage et la dune de Trescadec .


Les 5 schémas reproduits d'après les travaux de A. Hénaff et O Jegu, 1995. "Conséquences des aménagements portuaires sur la sédimentation dans l'avant-port d'Audierne". Norois, n°165, montrent le développement, de 1900 à 1990, du phénomène d'ensablement qui nécessite des travaux réguliers de dragage du chenal d'accès au port.

Les zones sableuses sont figurées en jaune. Elles recouvrent progressivement les enrochements naturels (figurés en hachurés). Les données de 1900 et 1953 correspondent aux cartographies marines de l'époque et les suivantes aux interprétations d'observations aériennes. Si l'ensablement perturbe l'activité portuaire, les auteurs mentionnent son intérêt en termes d'activité balnéaire du fait de l'accroissement de l'extension de la zone de plages.


La remontée du sable coquillier sur plusieurs kilomètres par le flot.

Des prélèvements de carottes de sédiment en bordure du lit du Goyen, lors des grandes marées de 115 le 12 mars 2020, depuis l'embouchure jusqu'au niveau de Kemaléro, confirment l'ampleur de l'apport de sable coquillier par le flot.

Si le sédiment est relativement compact de part et d'autre du pont, du fait des contre-courants qu'il génère, le banc de sable, relativement meuble, se poursuit en amont sur plusieurs kilomètres. Il est constitué d'un sable coquillier de plus en plus fin, occupant (comme on le voit sur la première photo et celle ci-dessous) la largeur du lit du Goyen dont seules les berges sont envasées.

Le sable porté par le flot est d'autant plus fin que l'on s'éloigne de l'embouchure, comme on le voit à gauche sur un prélèvement sur le banc de sable de Kermaléro à Pont-Croix par rapport à un prélèvement dans l'embouchure, à l'aplomb du cimetière de Poulgoazec (à droite) ; ces deux échantillons carottés au niveau de la basse mer du 12 mars 2020 correspondent à un sédiment relativement stable situé 4 cm sous la surface.


Pont-Croix, zone amont du banc de sable (cliché pris à l'aplomb de Kermaléro, le 12 mars 2020 à marée basse de 115).

Les alluvions terreuses drainées par la rivière envasent la largeur de la rivière au pied du bourg de Pont-Croix situé en amont. Si elles forment les dépôts vaseux sur les berges, elles se mêlent encore peu, à ce niveau, au sable fin apporté par le flot depuis l'embouchure.


En guise de réflexion(s).

Les aménagements passés, du môle et des quais aux remblais plus récents de Poulgoazec et de l'anse du Stum, en passant par les diverses versions du pont, ont tous contribué à réduire la largeur naturelle du lit du Goyen.

La puissance du flot n'ayant pas faibli, le niveau marin étant appelé à s'élever et certains phénomènes météorologiques pouvant présenter des amplifications liées au changement climatique en cours, il y a là motif à s'interroger sur leurs répercussions possibles.

Si les unes peuvent paraître favorables, comme l'extension des plages, d'autres sont difficiles à modéliser. En s'élevant, le niveau marin rendra-t-il plus facile l'entrée dans le Goyen? Pont-Croix retrouvera-t-il un paysage portuaire et de ria d'ici 50 ans? D'autres éléments auront-ils des conséquences plus douloureuses dans quelques décennies? En effet, comme le mentionnait le rapport de 1879, "le mur de quai, dont la tablette supérieure est élevée de quelques centimètres seulement au-dessus du niveau des hautes mers" cessera-t-il de constituer une voie praticable à court terme comme le laisse craindre la photo ci-dessous?

Un post ne peut pas suffire pas à traiter la complexité des questions sociales et économiques qui découlent de ces questions, mais il peut être l'occasion de souligner la nécessité d'en débattre collectivement lors des futurs projets d'aménagement du littoral et du port... en sachant qu'il conviendra de mieux considérer à l'avenir comment les innovations techniques doivent aider à coexister avec la nature et plus seulement envisager comment la dominer.

Audierne, le quai submergé le 12 mars 2020 comme sur les photos précédentes, mais un peu avant la marée haute et heureusement sans un coup de vent de sud qui aurait amené le flot au-delà de la chaussée.




Et, sur l'histoire du port et de ses activités, ne pas manquer de se plonger dans:

Plouhinec autrefois. Tranches de vie d'une commune du Finistère. JJ. Doaré (2 tomes 2009/2012) AS3P éd.

Cap-Sizun. Au pays de la pointe du Raz et de l'île de Sein. S. Duigou & JM Le Boulanger. 2010. Palantines éd.

Au pays d'Audierne. Le petit monde de Fanch Kérisit. P. Cornec & JJ Doaré. 2015. Editions du Cap Sizun.

Audierne, le Cap-Sizun de A à Z. H. Peuziat. 2017. Editions Alain Bargain.

et la revue Reuz en Eskevien c.p.esquibien@gmail.com

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